Portrait de géographes

Jeanne et Jean-Marc Hoeblich

Portrait de Jeanne et Jean-Marc Hoeblich, géographes, interrogés dans le cadre de l'Observatoire photographique des paysages "la terre vue de la mer".

Qui êtes-vous, et pouvez-vous nous décrire votre lien personnel, professionnel à ce littoral ?

Nous étions enseignants de géographie à l’université d’Amiens. Ce littoral, c’était un terrain d’étude pour les étudiants, on leur faisait faire des mémoires de maîtrise dessus. Mais aussi quand des collègues venaient de Paris ou de Lille, on les emmenait sur le terrain. Moi (Jean-Marc), je suis arrivé dans la région en 1990 et j’ai enseigné à l’UFR d’Amiens jusqu’à ma retraite en 2018. Et moi (Jeanne), je suis arrivée en 1992. J’ai enseigné à la fac d’Arras puis à Amiens jusqu’à la retraite en 2011.
A partir de 2008, nous avons organisé des classes « patrimoine » au collège de Saint Valery-sur-Somme pour les élèves de 6e sur le patrimoine maritime. Chaque année, on fait faire la même photo du bunker aux élèves pour qu’ils voient l’évolution. Le choix de ce secteur est assez judicieux : surveiller ce qu’il se passe sur quelque chose qui semble stable et qui est un repère. C’est pour cela qu’on avait proposé de choisir le secteur du blockhaus parce que les personnes qui viennent, peuvent voir des résultats très spectaculaires. C’est beaucoup plus parlant et plus facile à suivre...

Jeanne et Jean-Marc Hoeblich

Jeanne et Jean-Marc Hoeblich

François David photographe

Jeanne et Jean-Marc Hoeblich

François David photographe

Bunker et groupe - été 2020

Bunker et groupe - été 2020

François David photographe

Bunker et groupe - été 2020

François David photographe

Qu’est-ce qui selon vous fait la spécificité de ce littoral ? Qu’est ce qui est le plus marquant ?

On a un cordon littoral, et une dynamique, d’érosion ou d’accumulation. Dans certains secteurs, il y a une suraccumulation et, dans d’autres, ça s’amincit, comme près de l’Amer sud. Finalement, on se rend compte que le point de bascule entre érosion et accumulation se promène et évolue. Il se présente maintenant au niveau de Cayeux. C’est étonnant de se dire qu’ici, ça s’érode, et ici ça s’accumule, mais c’est un processus naturel.  
Toute la dynamique du cordon est liée à l’apport en galets, et d’ailleurs tous les bas-champs sont liés à cela. Tout le substrat des bas-champs est en galet : vous avez des générations de cordons de galets les uns derrière les autres qui jouent ce rôle de substrat.  Les galets venaient du Sud mais aussi de la paléo falaise, qui était une falaise vive jusqu’au Cap d’Alprech, au sud de Boulogne où les formations jurassiques apparaissent.
Et si on revient en arrière, historiquement, vous aviez le hâble d’Ault. C’était un port, avec une passe qui permettait aux bateaux de rentrer, de s’échouer, d’être à l’abri. Donc le cordon n’a jamais été, de façon naturelle, complètement fermé, puisqu’il restait cette passe. C’est par la suite, au 18e siècle au moment du Grand Barrement, qu’on a condamné le hâble d’Ault.
 

Toute l’hydrographie a été ramenée sur la baie de Somme par les grands canaux, comme celui de Lanchères par exemple. Cela n’a pas été absolument réussi car des zones sont restées assez marécageuses. Mais c’est à partir de ce moment-là qu’on a consolidé le cordon de galets, pour le fermer correctement : c’est à partir de ce moment que l’homme a commencé à artificialiser le cordon. C’est un des aspects importants. Sur toutes les photos [de l’Observatoire Photographique - NDLR], il n’y a pas vraiment quelque chose de naturel. C’est vraiment artificialisé. On a voulu faire des terres, des polders. Ce qui était important c’était la production céréalière et la terre en tant que telle, qui rapportait plus que la pêche. Et ce n’est que depuis récemment qu’on veut garder un paysage maritime. L’homme a accompagné la dynamique ou l’a contrariée.
Mais quand les gens viennent transformer la dynamique naturelle, elle se réajuste par rapport aux transformations. C’est aussi le cas des rivières, quand il y a des inondations, le cours d’eau reprend son tracé antérieur, avant qu’il ait été endigué. Si vous prenez la carte des inondations de 1990, finalement l’eau a pénétré là où elle était à demeure avant le Grand Barrement. Elle a occupé les parties basses des bas-champs de Cayeux.
Après 1990, le Conseil Départemental et l’Etat ont décidé de maintenir le trait de côte en l’état. D’où la construction de tous les épis, il y en avait déjà quelques-uns mais ils ont été renforcés. Ça a été systématique jusqu’à l’amer sud de Cayeux. Vous avez un épi tous les 200m, soit une centaine. C’est très régulier, la dynamique le veut, parce que si vous avez un épi, vous avez une accumulation au sud de l’épi et de l’érosion au nord. Si vous n’en mettez pas un autre un peu plus loin, l’érosion va reprendre contre le littoral donc il faut remettre un autre épi. Et ainsi de suite parce qu’automatiquement l’érosion se poursuit à l’aval du dernier épi. Dans les années 2008-2010, vous avez eu le rajout de 25 épis pour empêcher que Cayeux soit érodé. On parlait de Cayeux presqu’île, que la ville allait être isolée.

Percevez-vous des évolutions de ces paysages littoraux ?

Une baie, naturellement, c’est sensé se combler. On a une photo du blockhaus, vu depuis la terre en 1967, il était carrément au sommet des dunes, les galets étant en dessous. Les Allemands étaient là en 42/43, ils se sont installés sur le haut de plage. Il y a 25 ans, il était encore bien assis sauf qu’il commençait à glisser. Entre le haut de plage actuel et le blockhaus, on a mesuré environ 70 mètres de recul depuis 1943. Soit environ 1 mètre par an. Mais ça ne se fait pas systématiquement, il y a des moments où ça se régularise. En 2017, il y a eu une énorme tempête et à ce moment-là la route blanche a commencé à être attaquée. Il y avait une falaise d’érosion, on avait les galets en bas, surmontés d’une zone avec un bout de route qui devait être probablement celle des Allemands, et après il y avait du sable dunaire par-dessus. Il y avait une belle analyse de stratification artificielle à faire !
Aujourd’hui ça s’est abaissé d’un peu plus de 80 cm et maintenant, qu’est-ce qu’il va se passer ? Quand vous avez un obstacle, les courants vont se subdiviser en 2 pour passer d’un côté et de l’autre, et provoquer un affouillement. À un moment donné, le blockhaus sera isolé. Au départ, ce mouvement ne pouvait pas se faire parce qu’il était encore pris dans le talus donc il a été surtout affouillé devant. Mais maintenant, sous l’effet des courants creusant autour de ce bloc, il va piquer du nez. L’érosion se voit bien sur la route blanche, alors qu’on espérait il y a encore 4 ans qu’elle soit protégée par un nouveau cordon de galets qui progressait vers le nord. Toutefois, les grosses tempêtes de 2020 ont bien raboté la partie protectrice.
Pendant le printemps à la fin des tempêtes et jusqu’aux premières tempêtes en automne, vous avez un engraissement, une accumulation de sable. Pendant l’hiver, vous avez un dégraissement. Or, le bilan devrait être équilibré. Mais ces dernières années, depuis 1990 vous avez plus de dégraissement que d’engraissement, lié aussi à l’évolution climatique, à la fréquence des tempêtes.
Avec la montée de la mer, contrairement à ce que les gens pensent, car le flot est plus puissant que le jusant, il y aura une suraccumulation dans un premier temps, avant qu’il y ait à nouveau un rééquilibrage. Tout est une question d’équilibre continuellement.

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