Portrait de la présidente de l’association pour la sauvegarde du baliseur Somme II

Paule Porquet

Portrait de Paule Porquet, présidente de l’association pour la sauvegarde du baliseur Somme II, interrogée dans le cadre de l'Observatoire photographique des paysages "la terre vue de la mer".

Qui êtes-vous, et pouvez-vous nous décrire votre lien personnel, professionnel à ce littoral ?

Je suis arrivée ici en 1980, par amour, car mon mari est valéricain. Un jour il m’a emmené à St-Valery, j’ai trouvé que c’était un lieu extraordinaire. Je lui ai dit “ je veux bien vivre à St-Valery”. En 1995 j’ai été élue conseillère municipale à St-Valery. A cette occasion, j’ai eu connaissance du devenir du baliseur Somme II par la DDE maritime. Le baliseur, on l’entendait tous les 15 jours avec son moteur particulier, il sortait dans la baie pour baliser. Il a balisé pendant 50 ans. Il a également sauvé des centaines de vies humaines, non seulement des bateaux qui avaient des soucis, donc des marins, mais aussi des personnes à pied, qui se faisaient rattraper par la marée. Ces personnes, quand elles se trouvent au Hourdel, ont l’impression que la mer est loin, sauf qu’elle arrive très vite. L’association pour la sauvegarde du baliseur Somme II a été créée au moment de la retraite du baliseur. En 1999, j’ai tout de suite été membre du Conseil d’administration, et quelques années après, en 2003 je suis devenue présidente, et je le suis toujours aujourd’hui. Au départ c’était une association qui était consacrée uniquement à la sauvegarde et à la valorisation du Somme II. Maintenant notre mission c’est de connaître, faire connaître, sauvegarder et valoriser, non seulement le Somme II, mais aussi tout le patrimoine maritime du littoral picard, qui est très important.

Paule Porquet, Présidente de l’association pour la sauvegarde du baliseur Somme II

Paule Porquet, Présidente de l’association pour la sauvegarde du baliseur Somme II

François David photographe

Paule Porquet, Présidente de l’association pour la sauvegarde du baliseur Somme II

François David photographe

Cap Hornu - été 2020

Cap Hornu - été 2020

François David photographe

Cap Hornu - été 2020

François David photographe

Qu’est-ce qui selon vous fait la spécificité de ce littoral ? Qu’est ce qui est le plus marquant ?

Je suis corse d’origine. Mon pays c’est une montagne qui a les pieds dans l’eau : 80% du paysage est fixe et 20% mobile. Ici c’est exactement l’inverse : quand vous avez 80% du paysage qui en permanence est en mouvement, c’est tout simplement génial ! Et de plus, les lignes du paysage changent en permanence. Elles sont là aujourd’hui, la marée arrive avec 11m d’eau qui dévalent, et les lignes sont complètement redessinées. Ce qu’il y a ici, c’est cette dynamique, ce mouvement qu’il y a en permanence. Deux fois par jour avec la marée, mais pas seulement, avec le ciel aussi. La lumière anime ce paysage. Il y a souvent des gris colorés, et des gris brillants. J’ai déjà vu des ciels pratiquement noirs, très foncés sur le Crotoy, et il y avait juste au moment du coucher du soleil, un trait rouge, c’est extraordinaire.  Je me promène tous les jours le long de la Baie, tous les jours je me dis “tiens cet instant est unique, photographie le dans ton esprit, car il est unique”.  On est à l’âge du clic, il faut que tout aille très vite, et ici les choses changent régulièrement assez rapidement, ça peut plaire ! Mais il faut être initié, initier son regard, initier son ouïe, car il y aussi des bruits extraordinaires, quand la marée monte, c’est vivant !
J’ai choisi ce point de vue sur la Chapelle des Marins, car c’est un lieu très important concernant l’histoire de St-Valery. Et puis le mont de la chapelle et la chapelle des marins avaient un lien avec la mer.
 

Par rapport aux autres ports de la Baie, on est plutôt en surplomb avec la falaise morte boisée. Ce promontoire est habité depuis très longtemps. Au VIIe siècle, le moine Gualaric est venu évangéliser les habitants de la baie. Il a installé son ermitage ici sur ce promontoire. Lorsqu’il décède, il souhaite être enterré ici. On y construit un reposoir, puis une chapelle qui s’appelle la chapelle de la vierge puis chapelle St-Valery. A la révolution, on veut raser la chapelle mais les marins et les armateurs qui font du commerce s’y opposent, c’est très important pour nous, quand on arrive et qu’on veut accéder au port de St-Valery, c’est un repère, et donc ils sauvent la chapelle. C’est pourquoi la chapelle devient la chapelle St-Valery dite des Marins. On peut parler de la chapelle des marins comme un amer, un point de repère fixe depuis la mer.  Et puis, les marins sont très superstitieux, quand ils partaient, ils se signaient en passant devant la chapelle. Il y a dans cette chapelle un nombre important d’ex votos, notamment des maquettes de bateaux, en offrande pour une grâce obtenue.

Percevez-vous des évolutions de ces paysages littoraux ?

Le premier phénomène que j’ai constaté c’est l’ensablement. Parce qu’il y a 40 ans quand je suis arrivée, l’emprise des molières était moins importante. Le phénomène s’accélère, on le voit presque à l’œil nu : les sables et les vasières reculent pendant que les molières avancent. Il y a plus de pâturage pour les prés salés, on a plus de végétaux pour les ramasseurs de végétaux marins (salicorne, aster maritime, pompons…). On s’est adapté, mais on a perdu une certaine vie. Et aussi avec l’ensablement, la pêche et le commerce ont disparu, l’activité maritime dans la baie a disparu, les bateaux ont disparu, sauf quelques bateaux au Hourdel : les pêcheurs valéricains sont partis au Tréport. J’ai vu la fin de l’activité puisqu’elle s’est arrêtée en 1990. En sachant qu’au lendemain de la guerre, il y avait encore 360 bateaux de commerce qui rentraient dans le port de St-Valery. Du grand port de commerce qui avait son quartier maritime, son amirauté etc.. On se retrouve avec un port mort.
Ce que j’ai constaté aussi, c’est l’érosion du littoral. Le phénomène s’est accéléré, car pendant un certain nombre d’années ça ne bougeait pas. Mais ces dunes qui ont été arrachées, c’est quand même un phénomène probablement lié au réchauffement climatique avec des tempêtes de plus en plus agressives, de plus en plus rapprochées avec des vents de plus en plus violents.
Ensuite, la pression touristique est évidente surtout depuis les années 2000. L’autoroute y est pour quelque chose. Au départ quand on parlait de la Baie de Somme on disait « c’est où ?». Maintenant, tout le monde connaît, il y a eu une grande campagne de communication. Il y a une hyper fréquentation de cette partie du littoral, le parking du Cap Hornu est très utilisé. C’est dramatique, car c’est un parking sauvage. Avant, les gens se garaient pratiquement au bord de l’eau, sans avoir conscience de ce qui pouvait se passer. Il y a le Grand Site de France, c’est quand même un endroit protégé, j’espère qu’il le sera toujours. On doit essayer de réguler ces flux, et faire en sorte qu’ils impactent le moins possible. Et puis, quel impact va avoir l’élévation du niveau des mers et océans. C’est quand même un futur, c’est une réalité. Il faut être attentif à tout ce qui se passe et à ce qui s’est passé, car l’histoire, le passé nous aide à comprendre le présent et peut être à supporter et à s’adapter à l’avenir.

Découvrez les autres portraits