Portrait d'un mytiliculteur à Camiers

Jean-Etienne Vallé

Portrait de Jean-Etienne Vallé, mytiliculteur, interrogé dans le cadre de l'Observatoire photographique des paysages "la terre vue de la mer".

Qui êtes-vous, et pouvez-vous nous décrire votre lien personnel, professionnel à ce littoral ?

J’ai 32 ans, je suis originaire du Crotoy, cela fait 7 ans que je suis sur le terrain. J’ai commencé à travailler avec mon père en Baie de Somme puis je me suis installé ici à Dannes en 2015. Mon père avait une exploitation sur Saint-Quentin où il y a pas mal de concessions. Là-bas les concessions ont été créée en 1983. C’est encore l’ancienne génération qui d’ailleurs commence tout doucement à partir à la retraite et qui eux ont une expérience du littoral. Ma concession est ici sur 3km en linéaire et sur 150m de large. C’est sur le domaine public maritime. Ce sont des concessions qui nous sont attribuées sur des baux de carrières, renouvelables tous les 35 ans. On a un cahier des charges à respecter et contrôlé régulièrement par les affaires maritimes.
La Mytiliculture ce sont des cycles de production d’un an, c’est plus rapide que l’ostréiculture où les cycles sont de trois ans. On ensemence, la mise en place des cordes de naissain sur les pieux se fait entre le mois de juin jusqu’à la fin août pour les récolter l’été suivant où elles ont une taille commercialisable.
Selon les années et les conditions climatiques cela marche plus ou moins bien. On descend directement avec le tracteur sur les concessions, en général cela ne pose pas de problème même si on intervient en été, nous ne sommes pas sur Saint-Cécile ou Hardelot qui sont d’avantages des stations balnéaires. Mais avec les années les petits chemins d’accès deviennent de plus en plus fréquentés. Les gens sont curieux, viennent poser des questions pour essayer de comprendre comment on procède.
 

Jean-Etienne Vallé, mytiliculteur

Jean-Etienne Vallé, mytiliculteur

François David photographe

Jean-Etienne Vallé, mytiliculteur

François David photographe

En pleine saison j’ai dix salariés, on est entre six et huit sur la partie production en mer et quatre sur la partie expédition et commercialisation. La partie commercialisation est réalisée dans un bâtiment à Boulogne-sur-Mer. Les cueillir c’est une chose mais après il y a toute une chaine pour faire le tri, le conditionnement et l’expédition et cela se passe dans l’atelier. La demande est tellement forte sur la côte pendant la saison touristique que la majorité de la production est vendue au niveau local. J’ai quelques clients dans le sud de la France qui m’ont contacté via la publicité que je fais sur Internet. Mais ces volumes sont relativement faibles par rapport à ce qui est consommé localement. J’ai commencé avec des productions de 60 tonnes par an, cette année on est à 350 tonnes et j’ai encore des pieux disponibles car entre temps j’ai racheté le parc d’un collègue. L’augmentation du volume est dû à l’augmentation de la taille des concessions, on développe aussi au fil des années des techniques qui permettent d’améliorer la rentabilité. Ici à terme on va être à 22 500 pieux.
On travaille avec les marées, environ 2h avant la basse mer et 2h après. On a donc un créneau de 4h où il faut vraiment s’activer et que tout soit ordonné pour être le plus productif possible. On travaille exclusivement en tracteur jamais en bateau.

Accès plage St-Gabriel à St-Cecile - été 2020

Accès plage St-Gabriel à St-Cecile - été 2020

François David photographe

Accès plage St-Gabriel à St-Cecile - été 2020

François David photographe

Qu’est-ce qui selon vous fait la spécificité de ce littoral ? Qu’est ce qui est le plus marquant ?

On me demande de plus en plus de faire des visites de l’exploitation. Je vais sans doute mettre cela en place car la demande est là, cela intéresse les gens de comprendre le métier. Ils achètent des moules et souhaitent connaitre la façon dont elles sont produites. Ils comprendront également d’avantage le prix de vente car les moules de bouchot sont un peu plus chers que les autres moules que l’on peut trouver, s’expliquant par les investissements et par la façon dont elles sont produites. La seule moule du bouchot AOP c’est celle du Mont Saint-Michel car les producteurs se sont coordonnés pour créer cette AOP. A l’échelle nationale il y a ce que l’on appelle une STG, Spécialité Traditionnelle Garantie et c’est le seul label que nous avons ici sur la moule de
Bouchot.

Percevez-vous des évolutions de ces paysages littoraux ?

Une peu d’érosion que l’on peut voir sur les photos. Erosion qui est dû au vent. Il semblerait que le développement de la mytiliculture aurait modifié un peu la courantologie. Des bancs de sable se seraient créés. Ça joue forcément.
Le manque d’eau douce par rapport à la sécheresse cette année a créé des perturbations. La moule a besoin d’apport d’eau douce par la pluie, par la Canche, donc ça a ralenti sa croissance. Mais cela n’est pas non plus catastrophique. On constate, des grosses chaleurs, que les moules dur la tête des pieux peuvent mourir.
L’augmentation de quelques degrés de la mer n’est pas forcément une mauvaise chose pour nous car la moule se développe grâce à une son activité biologique donc elle va pouvoir filtrer davantage.
Les prédateurs des moules présents ici se sont les goélands. C’est une espèce que l’on voit augmenter
d’années en années. C’est eux qui font le plus de dégâts pendant la période d’installation des essaims sur les pieux car la moule fait à ce moment-là quelques millimètres et pour eux c’est de l’apéro. Ils se posent sur la mer, ils attendent que la mer baisse et ils vont picorer. Pendant cette période jusqu’à fin septembre on fait des surveillances et tirons avec des pistolets effaroucheurs pour leur faire peur. Ensuite quand la moule fait un 1,5cm environs on met un filet de protection pour la maintenir l’hiver pendant les tempêtes et les protéger des prédations. Nous ne sommes pas embêtés par les phoques, ni les poissons, ni les mouettes…
Les tempêtes, c’est jusqu’à 1,50m de mouvement de terrain. Les pieux font 6m, ils sont enfoncés de 4m, il y a 2m hors sol. J’ai vu après une grosse tempête des pieux à 3,50m hors sol, et plus qu’enterrés de 2,50m. La plupart des pieux subissant ces variations ont bougés et sont finalement tombés. Un mètre de sable en plus c’est possible aussi. Les pieux ne bougent pas, c’est le terrain qui bouge, on ne peut rien y faire.
Lorsque l’on plante des nouveaux pieux sur un terrain vierge on fait une moyenne en termes de hauteur quand ils sont trop haut ou trop bas et on trouve un juste milieu. Lorsque l’on dépasse les 100km/h de vent orienté sud-ouest, ouest il y a des gros mouvements de terrain. Les vents d’est ça nous arrange. Ce sont des vents qui viennent de la terre et nous protègent. Les vents d’ouest qui viennent de la mer créent de gros rouleaux.

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