Portrait d'un photographe

Philippe Fruitier

Portrait de Philippe Fruitier, photographe, interrogé dans le cadre de l'Observatoire photographique des paysages "la terre vue de la mer".

Qui êtes-vous, et pouvez-vous nous décrire votre lien personnel, professionnel à ce littoral ?

Je suis né en 1958 à une dizaine de kilomètres au sud d’Arras, dans le village de Boiry-Saint-Martin. Je suis un homme de la terre, je suis fils d’agriculteur. J’allais souvent sur le littoral car j’avais de la famille à Berck. J’ai rêvé de voler pendant toute mon enfance. Dans les années 80, il y a eu une révolution complète avec l’arrivée du parapente. C’est comme ça que j’ai commencé à voler. Et puis, ce sont les baies qui m’ont persuadé que je devais devenir photographe aérien. C’est vraiment une révélation quand tu survoles ça. Tu découvres une merveille. Ça a été mon premier contact au début des années 90, car j’ai appris à voler à Abbeville, on allait souvent survoler la Baie de Somme. On avait des choses très changeantes en fonction de la lumière, de la marée. Quand j’ai vu ça, j’ai été persuadé que c’était le métier que je devais faire. Ça fait 26 ans que je fais ça. J’ai toujours eu du plaisir et envie de partager ce que je voyais de là-haut, j’ai écrit plusieurs livres.
Le métier de photographe aérien m’a vraiment attaché à cette région. Tu apprends un tas de choses avec la photo aérienne. L’image aérienne m’a appris à prendre du recul, à prendre de la hauteur sur les choses. L’échelle de temps très importante, il faut en prendre conscience.  On se donne rarement des échelles de temps. Moi j’aime dire que 1000 ans = 1cm, la disparition des dinosaures fait 650m ; la présence des dinosaures s’est étalée sur 1.7km ; l’homosapiens à 2m ; la fin de la II guerre mondiale à  0.75mm, ….

Philippe Fruitier, photographe

Philippe Fruitier, photographe

François David photographe

Philippe Fruitier, photographe

François David photographe

Dunes et boisements vers Groffliers - été 2020

Dunes et boisements vers Groffliers - été 2020

François David photographe

Dunes et boisements vers Groffliers - été 2020

François David photographe

Qu’est-ce qui selon vous fait la spécificité de ce littoral ? Qu’est ce qui est le plus marquant ?

Cette région n’est pas ce que les gens s’imaginent en général : la grisaille du bassin minier, les plages froides avec une eau marron, ... Et bien non le littoral ce n’est pas ça : c’est sauvage, on a une bande littorale extrêmement riche : falaises, galets, dunes de sable, ...Cette grande variété de faciès est le plus marquant. C’est une richesse incroyable, il y a beaucoup de régions où le littoral est uniforme. Je suis allé en Belgique, le littoral est plus court, mais il n’y a plus de dunes, ils ont bétonné partout.
Et nous avons des villes extraordinaires : Ault, Wimereux, ... sont aussi les villes des premières vacances, du front populaire.  Et il y a aussi l’histoire dont il reste beaucoup de traces comme le mur de l’Atlantique avec les traces des combats qui sont encore bien là.
On a une diversité que beaucoup nous envient et trois baies sur un littoral de 160 km ! Elles sont par ordre de taille : Baie de Somme, Baie d’Authie, Baie de Canche. La Baie d’Authie est celle qui est au milieu. C’est celle que je préfère, parce que c’est celle de mon enfance. Et puis par sa taille aussi. La Baie de Somme est presque inaccessible, difficile de la faire à pied. La Baie d’Authie est plus à dimension humaine. J’ai trouvé en tant que photographe que c’est celle qui joue le plus avec les lumières où on a le plus de nuances marquées selon les marées.  S’il y a un endroit pour faire comprendre à quelqu’un pourquoi la côte d’Opale s’appelle comme ça, il faut l’emmener dans la Baie d’Authie !  Opale je me le figure comme une lumière douce, avec des choses un peu filtrées.
Elle n’est pas trop touristique. Et puis mon enfance doit jouer, comme c’est là que j’allais, mais je ne connaissais pas la baie avant d’avoir volé, c’est en volant que je l’ai appréhendée.

Percevez-vous des évolutions de ces paysages littoraux ?

Une baie naturellement c’est censé se combler. En 25 ans de photo aérienne, l’érosion du littoral, je l’ai vue, constatée, et 25 ans, ce n’est rien (0.25mm) ! J’ai vu des dunes s’effondrer en Baie d’Authie avec des arbres qui partent à la mer, j’ai vu des falaises qui tombent, j’ai vu des villes comme Wissant attaquées par la mer. La mer est plus forte que tout ! On va devoir faire des concessions par rapport à la montée des eaux.
Je vois l’érosion par rapport aux dunes, aux falaises… Sur les falaises du blanc nez quand il y a des grandes marées, on voit ces grandes trainées blanches qui prouvent que le calcaire des falaises part à l’eau.
En Baie d’Authie, ce que j’ai vu, ce sont les dunes qui partent à l’eau avec des arbres. Quand on fait une photo avec ces arbres qui sont couchés car la dune a été touchée par les flots, c’est un signal d’alarme. Et là c’est très fort. Il y a aussi une dune qui part dans les terres. Les blockhaus en particulier sur Wissant, on les a enlevés, je regrette car c’était un bon repère, ça permettait de voir où était la mer et la terre avant. Toute cette évolution est bien visible quand on est là-haut.

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