Portrait du président de ACMAN 62

David Rolland

Portrait de David Rolland, portrait du président de ACMAN 62, interrogé dans le cadre de l'Observatoire photographique des paysages "la terre vue de la mer".

Qui êtes-vous, et pouvez-vous nous décrire votre lien personnel, professionnel à ce littoral ?

Je suis berckois d’origine. Après j’ai habité Groffliers, et ma maison était à 500m de la digue. Je ne suis pas né sauvaginier, je le suis devenu. Ma hutte, je ne l’ai que depuis 99. Quand on a déménagé ici, l’accès le plus simple que j’avais pour chasser, c’était d’aller en baie. Gamin, j’entendais tirer la nuit, et donc je savais si la nuit avait été bonne ou pas. Dès que j’ai eu le permis de chasse, je prenais mon vélo le matin avant le lever du soleil pour venir faire la passée avant d’aller à l’école. Et aujourd’hui je suis chargé de mission à la Fédération des Chasseurs du Pas-de-Calais et président de l’Association des Chasseurs Maritimes de l’Authie Nord (ACMAN) depuis 2019.  Mon idée c’est qu’il y ait un dynamisme dans l’association, donc place aux jeunes et aux femmes ! On a de plus en plus de chasseresses sur les 10 dernières années qui viennent en baie. C’est un gros changement. J’ai d’ailleurs fait rentrer une femme dans mon conseil d’administration, j’en suis très fier, ce n’était jamais arrivé.
 

David Rolland, président de ACMAN 62

David Rolland, président de ACMAN 62

François David photographe

David Rolland, président de ACMAN 62

François David photographe

L’association a été créée en 1975, c’est une association de chasse maritime. Nous sommes liés à l’État par un bail de chasse, car on est sur le Domaine Public Maritime (DPM) : on est détenteur du droit de chasse mais on est aussi gestionnaire. On a un rôle important en tant qu’usager : non seulement on peut jouir de l’usage de la chasse sur le territoire, mais on a aussi des obligations de bonnes pratiques environnementales pour prendre soin du territoire. L’’association compte aujourd’hui près de 450 adhérents, il y a 22 huttes de chasse flottantes qui sont sur des mares fixes, et on a 20 numéros de huttes mobiles. Et il y a aussi la chasse à la botte. La chasse commence le premier samedi d’août et ça ferme le 31 janvier. Tous les jours de la semaine, jour et nuit. C’est vraiment une échappatoire à notre vie professionnelle, au quotidien, c’est une transmission qu’on a de pères en fils, c’est une tradition familiale entre amis, de continuer à pratiquer ce mode de chasse là, c’est aussi l’amour de nos oiseaux qu’on attache, même si ça peut paraître paradoxal. Au départ c’était pour se nourrir, aujourd’hui c’est une chasse « plaisir », ce n’est pas une chasse de régulation : nous on ne régule pas des sarcelles ou des chevaliers gambettes. On vient cueillir les intérêts que la nature nous a donnés. C’est pour ça qu’on suit toutes les populations, qu’on fait des comptages, des baguages. On balise des oiseaux pour savoir où en est la population. Nous, on défend une chasse adaptative, une gestion adaptative des espèces.

Embarcations à la Madelon - été 2020

Embarcations à la Madelon - été 2020

François David photographe

Embarcations à la Madelon - été 2020

François David photographe

Qu’est-ce qui selon vous fait la spécificité de ce littoral ? Qu’est ce qui est le plus marquant ?

C’est le côté sauvage, la liberté qui me touche dans ces paysages, c’est pour ça que je préfère l’hiver. C’est là où c’est le plus beau, les couleurs hivernales, et qu’il n’y a personne.
Il y a du vent, quelques oiseaux qu’on voit au loin. C’est ce côté “je suis ailleurs”. Vous êtes en ville, d’un seul coup vous arrivez ici. C’est le silence, il n’y a rien, il ne se passe rien, on respire. De temps en temps, il y a un coup de fusil qui vient déchirer le silence.
Les huttes, ça fait plusieurs décennies qu’elles sont là. Elles font partie du patrimoine régional, les mares ont été créées par l’homme, il a modelé le territoire.
Aujourd’hui, on n’en crée pas de nouvelle mais on remplace celles qui ont coulé. Par exemple, il y en a une toute neuve, qu’on peut démonter très facilement. Comme on est sur une autorisation d’occupation temporaire du DPM, c’est important. On a même mis l’électricité, on a un panneau solaire. Pour moi c’était important qu’on trouve des solutions durables et écologiquement responsables pour les rénovations. Il faut qu’on se mette dans cette optique si on veut conserver notre mode de chasse. Il faut assumer qu’il se modernise. Qu’on lui garde son essence culturelle, sociale, historique, mais qu’en même temps il puisse évoluer.
Je suis très attaché à la Baie d’Authie.
Je me suis battu pour conserver les barques de la Madelon contre la réglementation qui considérait que c’était une occupation illégale du Domaine Public Maritime. Pour nous, elles font partie du patrimoine local. Elles servent aux chasseurs à traverser à partir de la Madelon pour aller jusqu’à la baie d’Authie Sud : il y a 8 huttes desservies par les barques. On a trouvé un compromis pour qu’elles restent bien rangées et qu’il n’y ait pas d’érosion sur les accès aux barques.

Percevez-vous des évolutions de ces paysages littoraux ?

En 30 ans on a gagné 50 ha de végétation, c’est-à-dire un tiers de plus de végétation. Tout ce qu’il y a jusqu’au Bec du Perroquet, avant c’était la plage. Quand j’étais gamin, on venait ici à la plage ! C’était un peu comme au Crotoy. Vous aviez des gens avec les parasols, on faisait des entraînements de foot sur le sable, ... Aujourd’hui c’est recouvert par la végétation. La baie s’est ensablée, le taux de matière organique est monté et donc il y a des plantes qui se sont installées. Pour moi, l’ensablement, c’est le côté problématique : la baie est en train de se refermer. En plus, on a des plantes envahissantes, notamment la spartine anglaise. On a une trentaine d’hectares de spartine qui favorise la sédimentation, et donc la fermeture du milieu et l’envasement de la baie. Il y a aussi le chiendent littoral. C’est une espèce envahissante mais pas exotique. La limitation qu’on peut en faire est soit par éco-pâturage, soit par la fauche. Nous, autour de nos mares, on fauche pour éviter ce chiendent littoral mais aussi pour avoir une flore attractive pour le gibier. On fauche 2 fois par an. On travaille sur les dates et les modes de fauche pour améliorer nos pratiques. On évolue en fonction des connaissances. Cette gestion du chasseur a un but cynégétique, pour garder le milieu ouvert, et a aussi un intérêt pour la biodiversité. C’est un peu une biodiversité “jardinée”. On trouve plus d’espèces patrimoniales et rares autour de nos mares que sur le reste du territoire... Si les chasseurs ne le font pas, le milieu se referme et donc on perd en nombre d’espèces et en nombre d’habitats. Ils le font bénévolement, par utilité. Je défends la biodiversité par l’usage.
Selon moi, il y a beaucoup moins de fréquentation, depuis qu’on a fermé le parking des Groffliers. C’est moins accessible et donc les gens ne viennent plus. Pour autant, on a aussi d’autres activités qu’on n’arrive pas à maîtriser : des gens qui viennent en randonnée de trottinettes électriques par exemple ! Tous les yeux sont braqués en ce moment sur la baie d’Authie, pour l’écotourisme par exemple. On a l’impression que ce diamant brut n’a pas encore été trop utilisé. Ca nous fait un peu peur, parce que ce n’est pas Disneyland ici, on veut que ça reste comme ça, c’est ce qui fait son charme. Et l’activité chasse n’est pour moi pas en contradiction avec cette préservation du territoire. Parce qu’elle reste très limitée dans le temps et l’espace.

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