Portrait d'un garde-pêche au Comité Régional des Pêches

Antoine Meirland

Portrait d'Antoine Meirland, garde-pêche au Comité Régional des Pêches, interrogé dans le cadre de l'Observatoire photographique des paysages "la terre vue de la mer".

Qui êtes-vous, et pouvez-vous nous décrire votre lien personnel, professionnel à ce littoral ?

Je suis chargé de mission et garde-juré (c’est-à-dire garde pêche) au Comité Régional des Pêches Maritime et des Elevages Marins, à Boulogne-sur-Mer. C’est l’organisation représentant les pêcheurs professionnels en mer dans la région Hauts de France. Je suis donc employé par les pêcheurs, plus précisément sur la pêche à pied. Sur les Hauts-de-France, ils sont 450 environ à vivre de cette activité. Et sur la Baie de Somme, 350 pêcheurs à pied professionnels au moins viennent pêcher. En plus de différentes actions de développement de projet ou de suivi de dossier, je m’occupe également de surveiller la pêche à pied sur tout le littoral des Hauts-de-France, du Tréport, en Normandie, jusqu’à la frontière belge. Je suis originaire du Nord de la France. J’habite en Baie de Somme depuis 20 ans à peu près maintenant, à Saint-Valery sur Somme. J’ai fait beaucoup de missions différentes, notamment scientifiques avant d’être au comité des pêches, et j’ai fait ma thèse de doctorat sur la Baie de Somme. La Baie de Somme, je la pratique à pied, professionnellement et pour me promener avec les enfants, notamment pour aller ramasser des salicornes ou des coques, observer les phoques ou les oiseaux. Je la pratique au quotidien.
 

Antoine Meirland, garde-pêche au Comité Régional des Pêches

Antoine Meirland, garde-pêche au Comité Régional des Pêches

François David photographe

Antoine Meirland, garde-pêche au Comité Régional des Pêches

François David photographe

En Baie de Somme, les pêcheurs ramassent de la coque, des vers, des lavignons, de la salicorne, et d’autres végétaux : de la soude, de l’aster, .... Il y a plein de choses à ramasser ! Il y a des périmètres très précis pour la pêche, pour tous les animaux, il y a une taille, un quota, ... Pour chaque espèce, c’est spécifique :  la coque 2.7cm et 5kg par personne pour les pêcheurs de loisir, le lavignon 3cm et vous avez le droit à 2kg pour les pêcheurs de loisir etc… En plus, pour les coquillages, il y a des zones sanitaires : vous ne pouvez pas ramasser les coquillages n’importe où pour les manger, c’est un peu risqué ! C’est bien réglementé. Avec 450 professionnels et des pêcheurs de loisirs nombreux, il faut que ce soit encadré, sinon… ! Mais, les pêcheurs de loisirs sont plus importants numériquement dans le Boulonnais ou dans le département de la Manche qu’ici en baie de Somme. Parce que les gens ont peur de s’avancer dans ce milieu estuarien. Il faut bien regarder la marée, oser se lancer. Ce n’est pas facilement accessible donc je pense que c’est un frein par rapport à d’autres secteurs.

La baie depuis le Crotoy - été 2020

La baie depuis le Crotoy - été 2020

François David photographe

La baie depuis le Crotoy - été 2020

François David photographe

Qu’est-ce qui selon vous fait la spécificité de ce littoral ? Qu’est ce qui est le plus marquant ?

Cette photo m’a plu parce qu’on voit que c’est grand. La baie de Somme pour moi, c’est l’immensité. Elle est beaucoup plus grande que la baie d’Authie ou la baie de Canche. Ce sont vraiment de grands, grands espaces qui ne sont pas appréhendables facilement. La baie d’Authie, à pied, vous la faites dans la journée presque de fond en comble. La Baie de Somme, ce n’est pas possible. Même d’un point de vue scientifique, la baie d’Authie ou la baie de Canche, ont fait l’objet de thèses où tout a été décortiqué. Mais la Baie de Somme c’est par thématique.
J’aime bien la pointe du Hourdel parce qu’on voit des deux côtés, on voit vraiment l’aspect maritime et l’aspect estuarien parce qu’on est au « milieu de la baie ». Il y a 200 ans il n’y avait pas tout ça de galets sur la pointe, c’était la baie. Le poulier continue d’avancer avec tous les galets qui viennent des falaises de Normandie. On est vraiment au milieu, avec la vue sur tout ce qui est ouvert sur la mer et puis vers l’intérieur, avec les étendues de sables, les prés salés et les deux villes du Crotoy et St Valery sur Somme. Le lever du jour, c’est le moment que je préfère. Dans 1h ça n’aura plus du tout la même allure, c’est tout le temps changeant. Et avec les grands coefficients de marée, d’un jour sur l’autre, la plage peut avoir changé de forme, elle peut être plate et tout un coup elle est toute bosselée, ça change à chaque instant.

Et puis c’est la rencontre de la terre et de la mer, ça aussi c’est magique. Toutes les plantes sont terrestres, ce ne sont pas des algues. Et elles se sont adaptées au fait qu’il y ait la mer. Et tous les animaux enfouis dans l’estran sont des animaux marins qui se sont adaptés au fait qu’il n’y ait plus la mer. Ce sont ces deux mondes-là qui se rencontrent dans la Baie de Somme, sur ces espaces et à travers tout le réseau de chenaux, qui est énorme :  il y a 700km de bordure de chenaux liés à l’écoulement de la marée ! Et il y a des bruits qui sont hyper particuliers, les vagues, le chant des oiseaux, ou quand on marche sur un gisement de coques : on l’entend pétiller !
C’est un milieu hyper productif, c’est impressionnant. Pour les coques il y a des endroits où il y a 15 kg de coques au m². En 2019, c’était une année vraiment productive, les pêcheurs professionnels de coques ont pêché près 5500 tonnes de coquillages. Tout ça de façon contrôlée et durable. C’est pour ça qu’il y a autant d’oiseaux, autant de poissons, autant de phoques ! Pour une population de 1500 phoques, il faut à manger aussi pour les nourrir !

Percevez-vous des évolutions de ces paysages littoraux ?

Ce que je trouve magique aussi ici, en termes de milieux naturels, c’est qu’on perçoit les changements. La progression de la végétation sur deux ans, je la vois. Ça évolue très rapidement. Là où on le voit le mieux c’est au niveau de la réserve naturelle. Pas d’années en années, mais en passant régulièrement, on voit que la spartine colonise, et ça devient enherbé. Sur ces zones, les pêcheurs ramassent des salicornes au lieu des coquillages. Ils s’adaptent.
La dynamique d’ensablement est hyper forte. Les études disent que c’est 1cm/1.5cm par an en moyenne sur la baie, sachant qu’il y a des endroits où ça peut prendre 0 cm dans l’année, et d’autres endroits, comme dans les fonds de baie, où ça s’ensable beaucoup moins. Mais on a aussi des zones en érosion. C’est là que c’est compliqué et intéressant. Sur l’ensemble de la Baie, c’est en accrétion, mais sur certains secteurs en particulier, par exemple la digue Jules Noiret au Crotoy, c’est en érosion. Il y a plus de tourisme aussi. Il était déjà important mais il est beaucoup plus important maintenant. Le tourisme a toujours été “nature”. Avant c’était les oiseaux, maintenant ce sont les phoques, on a changé d’animal ! Quand je venais avec mes parents quand j’étais gamin, c’était vraiment plus sauvage, il n’y avait personne. Aujourd’hui il y a beaucoup plus de tourisme qu’avant, plus d’activités différentes, d’urbanisation, de lotissements qui se construisent tout autour. Pour moi, durant les années 2000-2020, ça a moins changé que des années 60/70 aux années 90.  Il y a vraiment eu un genre de basculement à cette période. Il n’y a plus de bateaux qui viennent en Baie de Somme, quasiment plus, parce que ça s’est ensablé. Les bateaux de pêche sont partis au Tréport maintenant. Dans les années 70 il y avait une vraie activité portuaire maritime et les gens qui ont un certain âge ont encore ça en tête, que c’était la mer, et que c’était un port ! Saint-Valery-sur-Somme était un port de commerce !

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